Un hiver avec Schubert
Olivier Bellamy signe chez Buchet Chastel Un hiver avec Schubert, un essai très personnel sur le génial compositeur viennois, mort en 1828 à 31 ans seulement quelques mois après avoir mis un point final à l’un des plus grands chefs-d’œuvre de tous les temps : le Voyage d’Hiver. Si Schubert, après 24 lieder tous plus bouleversants les uns que les autres, termine l’errance hivernale du vagabond solitaire par sa rencontre avec le « Leiermann », ce malheureux joueur de vielle qui joue pieds nus dans la neige, Olivier Bellamy, dans son livre, nous invite à passer l’hiver à la rencontre de Schubert lui-même et de son intériorité si féconde. En un peu moins de 300 pages, l’auteur brosse un portrait subtil du « petit champignon » prodigieux, dont la brève et quasi insignifiante existence terrestre a pourtant suffi à lui garantir à jamais la postérité céleste.
Journaliste et animateur depuis des années de l’émission « Passion Classique » sur Radio Classique, déjà auteur d’une biographie remarquée sur la pianiste Martha Argerich, Olivier Bellamy aborde Schubert non pas sous la forme d’une biographie linéaire – d’autres ont déjà très bien fait ce travail – mais sous une forme plus thématique, avec un ensemble de 41 textes libres qui sont autant d’éclairages différents sur l’homme et sur l’artiste, appuyés de nombreuses références littéraires et musicales. Le connaisseur averti de Schubert n’apprendra sans doute pas grand chose sur la vie du maître du Lied, mais le verbe souvent sensible et plein d’entrain de Bellamy lui redonnera sans doute envie de dépoussiérer quelques disques oubliés sur l’étagère, ou de sortir du placard une ou deux partitions miraculeuses. Car c’est bien du génie de Schubert dont il est question dans ce livre, du grand et beau Schubert à plein poumons, et même si l’auteur laisse transparaître un peu trop de subjectivité, de sentimentalisme et de symbolisme chrétien à notre goût, c’est un livre passionné qui nous donne ou redonne une profonde envie d’écouter sa musique – et c’est là l’essentiel. On se fiche pas mal des polémiques frivoles (Schubert était-il gay ? Allait-il voir les prostituées ?) dont est si friande notre époque moderne ; l’important ce sont les notes qui tissent les pages de chefs-d’œuvre léguées à la postérité, l’émotion intraduisible en mots que nous procurent les magiques modulations de Schubert à la lumière de ce qu’il a été, lui, de sa souffrance, de sa solitude, de sa malchance, mais aussi de sa bonhomie, de sa joie de vivre, et surtout de son authenticité. Car la musique de Schubert n’est rien d’autre qu’un flux d’émotions cristallisées, le pur vécu qui caractérise le fond de toute conscience humaine ; c’est en cela qu’il touche tant d’âmes sensibles, et qu’il occupe une place totalement à part dans l’histoire de la musique.
Un hiver avec Schubert c’est donc avant tout l’écrit d’un mélomane qui s’adresse aux mélomanes, mais on peut aussi tout à fait le recommander à tous ceux qui souhaitent goûter pour la première fois au paradis schubertien, tous ces bienheureux qui ont cette chance de ne pas encore connaître le Quintette avec deux violoncelles, la Fantaisie pour 4 mains D940, et par dessus tout, le Voyage d’Hiver, voyage déchirant dont nul ne revient jamais indemne.
> Un hiver avec Schubert, éd. Buchet Chastel, 288p, 16 euros.