[CD] Arvo Pärt – The Deer’s Cry, par Vox Clamantis
Pour les fans d’Arvo Pärt, chaque nouvel album du label ECM New Series est attendu avec une fervente impatience, et après celui consacré à la Symphonie n°4 en 2010, et celui de l’enregistrement du génial Adam’s Lament en 2012, on était en droit de s’attendre à une nouvelle merveille discographique pour cette rentrée 2016. Hélas, « The Deer’s Cry », déçoit (un peu). Mais que l’on se comprenne bien : c’est un disque excellent ! Simplement, on est habitués à ce que ECM nous épate et nous gâte avec des premiers enregistrements mondiaux des grandes oeuvres du compositeur estonien. C’est ce qu’il a toujours fait, depuis le début des années 80, et c’est grâce à ce label et à son fondateur Manfred Eicher que la musque de Pärt ait pu sortir du bloc soviétique et conquérir par sa voix si singulière les oreilles des Occidentaux.
Mais Pärt, aujourd’hui, est une star internationale, c’est le compositeur contemporain le plus joué au monde, et de plus en plus de musiciens et de groupes vocaux veulent interpréter et enregistrer sa musique. Résultat, sur les 13 pistes de l’album « The Deer’s cry », seules deux oeuvres sont inédites (Habitare fratres in unum, créé à Paris en 2012, et Drei Hirtenkinder aux Fatima). Les autres pièces, la plupart plutôt récentes, ont été enregistrées par d’autres labels, et de très belle manière, mais aussi – et c’est ce qui nous chagrine un peu – par le label ECM lui-même ! Ainsi, on retrouve Summa et And One of the Pharisees qui figurent déjà sur l’album « De Profundis », Alleluia-Tropus de l’album « Adam’s Lament » et « Gebet nach dem Kanon », qui est la dernière partie de l’oeuvre Kanon Pokajanen, déjà enregistrée en intégralité chez ECM par Tonu Kaljuste et le Estonian Philharmonic Choir, en 1997… Quant à Da Pacem Domine, devenu au même titre que le Magnificat l’une des pièces vocales les plus populaires de Pärt, ces mêmes artistes l’avaient gravé sur le disque « In Principio » (dans une version orchestrale).
Si on peut légitimement reprocher à ECM de faire un peu de recyclage, il faut tout de même rappeler, pour leur défense, que Pärt a diminué sa cadence d’écriture ces dernières années, pour se concentrer sur des oeuvres plus brèves, qui utilisent d’ailleurs souvent du matériau déjà existant (ex: Virgencita). Et qu’il faudra donc s’armer de patience avant la sortie d’un nouveau grand album !
Et il faut, évidemment, rendre justice aux interprètes de l’album « The Deer’s Cry » que sont les excellents chanteurs de Vox Clamantis, l’autre grand ensemble vocal estonien, dirigés par Jaan-Eik Tulve, ancien chef du Choeur Grégorien de Paris. Ils n’y sont pour rien, si les œuvres présentées sur ce disque ont déjà été enregistrées par d’autres, et heureusement qu’il en existe d’autres ! Si on dispose déjà d’excellentes versions pour ces oeuvres, l’interprétation de Vox Clamantis est, comme à leur habitude, bluffante. Son cristallin, justesse impeccable, phrasé souple et précis… tous les ingrédients sont réunis pour garantir un disque de première qualité. Ils ont bénéficié tout au long de l’enregistrement de l’assistance d’Arvo Pärt himself, dont on connaît la personnalité exigeante et minutieuse. Seule petite réserve : on entend que ce ne sont pas des natifs britanniques, avec une prononciation très légèrement hasardeuse par moments dans Most Holy Mother of God et And One of the Pharisees, mais leur prestation vocale est par ailleurs tellement virtuose et émouvante que ça relève plutôt de l’anecdote…
Notre note : **** (4/5). Nos deux oeuvres préférées du disque : Sei gelobt, du Baum, et Drei Hirtenkinder aus Fatima. Écoutez ce dernier dans la vidéo-teaser ci-dessous :