Film « Le prénom » : rôle clé pour Wagner
C’est un Carnage soft et drôle que nous offrent Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, auteurs de la pièce de théâtre Le Prénom, et qui vient d’être adapté au cinéma. Dans le film de Roman Polanski, adapté lui aussi d’une pièce de théâtre, toute l’action se déroule dans un appartement où deux couples, sous des airs a priori courtois et polis, finissent par se détester profondément.
Avec Le Prénom, c’est un huis-clos similaire qui met en scène un dîner familial dans un appartement parisien ; ici les dialogues sont rythmés par l’humour, mais une grosse blague prise au sérieux fait tout dégénérer… Patrick Bruel, dans le rôle de l’homme d’affaires friqué qui roule en Mercedes et qui vote à droite (Vincent), se confronte à Charles Berling, l’intellectuel bobo de gauche (Pierre), marié à une professeur de collège un poil hystérique (Elisabeth). Participe également au dîner un 4e individu (Claude), tromboniste dans l’orchestre de Radio France, ami d’enfance des trois autres, et dont la personnalité efféminée jette le flou sur son orientation sexuelle (détail non important pour notre propos, mais qui a toute son importance dans le film!).
On se taquine, les blagues fusent dans une atmosphère légère et bon enfant, jusqu’au moment où Vincent révèle le prénom que lui et sa femme ont décidé de donner à leur fils. Changement d’ambiance radical, tout devient d’une gravité extraordinaire, l’intello gauchiste crie au scandale, les autres demeurent bouches-bée d’incrédulité, mais Vincent, d’un stoïcisme implacable, campe sur sa position et tente de justifier son choix, au point que le spectateur se laisse presque convaincre par ses arguments…
Quand la femme de Vincent arrive enfin au dîner, avec beaucoup de retard, les quatre amis font mine que l’heure est à la fête, mais très vite l’ambiance redouble de gravité et de tension, et Anna, qui ignore tout de la grosse blague de son mari (qui, entre temps a été comprise par Claude), est piquée par l’acharnement de Pierre qui prend l’histoire du prénom très au sérieux… Vincent comprend alors qu’il a été trop loin, beaucoup trop loin, et il a beau avouer que tout ça n’était qu’une grosse blague, l’atmosphère paraît définitivement plombée.
Sans raconter la suite du film, et son lot de secrets de famille dévoilés, il est une scène qui justifie notre commentaire ici sur musicaeterna.fr. Pour cela il nous faut révéler le fameux prénom, donc si vous n’avez pas vu le film et souhaitez garder le suspense, évitez de lire ce qui suit!
Lorsque Vincent annonce qu’il va appeler son fils du prénom d’un des pires dictateurs de l’hitoire, Pierre est hors de lui, et il développe toute une argumentation pour le persuader de changer d’avis. Mais c’est un dialogue de sourds : Pierre reste bloqué sur la connotation irrémédiable avec Hitler, alors que Vincent a en tête le héros romantique du roman de Benjamin Constant, qui date de 1816. Et pendant que Pierre tente de raisonner son ami, il se lève soudain pour mettre sur sa platine l’ouverture de l’opéra Tannhauser de Richard Wagner, de façon détachée et irréfléchie semble-t-il… Wagner, compositeur allemand du romantisme tardif, a certes existé avant l’avènement du nazisme, mais son antisémitisme n’est pas un mythe, et Hitler s’est approprié sa musique comme l’excellence de l’art aryen.
Dénoncer l’atrocité des crimes du dictateur, tout en écoutant Wagner, sans faire le lien entre les deux, la situation est vraiment cocasse, et l’ironie totale! Surtout, ce passage a le don en quelques notes, de démonter le raisonnement intellectuel de Pierre, et de renforcer celui de Vincent ; car après tout, si on peut écouter du Wagner, compositeur antisémite, pourquoi ne pourrait-on pas appeler son enfant Adolf ? D’ailleurs, Vincent fait remarquer à Pierre que plein d’autre prénoms sont associés à des monstres, et qu’on s’en soucie moins (Joseph Staline…).
Avant cette scène, le film faisait entendre la même ouverture Tannhauser de Wagner au début, lorsqu’on fait connaissance de Claude, le tromboniste. Et on l’entendra une troisième fois, plus tard dans le film, lorsque toute l’attention se portera justement sur Claude, qui conserve depuis des années un gros secret, et qu’il va finir par dévoiler à ses amis… Nous ne vous en dirons pas plus!