Star Wars, Harry Potter… la musique classique du XXIe siècle?
En plein air ou dans les salles de concert chic, la musique de film donne récemment de la voix et s’invite sur les pupitres des grands orchestres français. Une tendance qui remue les habitudes du monde classique.
« Toutes ces musiques de film sont vraiment bien écrites, et c’est l’occasion de s’éclater un peu !», lance Nam Nguyen, violoniste à l’Orchestre national de France. Jeudi 21 juin, au parc André Citroën dans le 15e arrondissement de Paris. La formation, placée sous la baguette de Sofi Jeannin, fête la musique en programmant, aux côtés de Georges Bizet et Emmanuel Chabrier, quelques noms moins habitués du concert classique : des compositeurs de musique de film.
Sur la pelouse du parc, l’ambiance est chaleureuse et détendue. Ici on écoute religieusement l’orchestre quand là on a prévu pique nique, chaises longues et bières fraîches. Si on sourit à L’Arlésienne ou à l’ouverture de l’opéra Carmen (« ah tiens, je connais ça », relèvent quelques uns), les partitions des Sept Mercenaires (Elmer Bernstein) et de La Guerre des étoiles (John Williams) suscitent des « oh ! » et des « ah ! » enthousiastes, voire une véritable ovation, chez les enfants comme leurs parents.
Dix jours auparavant, l’Orchestre Colonne donnait salle Pleyel une série de concerts en hommage à John Williams : salle comble et spectateurs ravis chaque soir. L’Orchestre de Paris intègre même le thème d’Harry Potter (John Williams, encore lui) à ses concerts éducatifs. Le répertoire longtemps mésestimé de la musique de film semble peu à peu gagner les faveurs des grands orchestres français : effet de mode, ou oubli tardivement réparé ?
« Le public est en transe »
Si l’univers du concert classique français se montre encore timide à son égard, le monde de l’édition musicale a depuis longtemps compris la richesse, artistique et financière, qu’il y a à puiser d’un tel patrimoine. Stéphane Lerouge, concepteur de la collection « Ecoutez le cinéma !» chez Universal Music est bien placé pour le savoir. Passionné depuis sa petite enfance (il se voit encore coller des magnétophones à cassettes contre les haut-parleurs de sa télévision afin d’enregistrer les bandes son de ses films favoris), il passe son temps à fouiller les caves des compositeurs, à démarcher les studios, et à concevoir des coffrets aussi beaux à regarder qu’à écouter. « Il me semble qu’il y a tout un pan de la musique écrite pour le cinéma qui commence à se substituer, dans l’esprit du public, au grand répertoire classique », analyse-t-il.
La musique de film plus légère, face au classique trop exigeant ? « A partir du moment où, dans la deuxième partie du XXe siècle, certains compositeurs ont adopté une écriture plus radicale marquée par l’école de Vienne, la musique s’est tournée vers une modernité qui l’a fait se détacher du grand public. John Williams, le compositeur de musique de film le plus joué en live, est quelqu’un qui a su faire la synthèse entre le romantisme de Wagner et la modernité de Stravinski. Prenez La Guerre des étoiles ou Les Dents de la mer. Ce n’est pas ce que je préfère par goût mais sa musique tient parfaitement debout en concert et produit un effet saisissant sur le public. C’est également vrai avec la suite du Messager de Michel Legrand, celle des Dirty Harry de Lalo Schifrin. Ca confirme le vieil adage : la bonne musique de film doit autant servir le film que la musique. » A Pleyel comme au parc Citroën, c’est en effet en famille et les yeux brillants que l’on venait au concert.
Comme dans beaucoup d’autres secteurs, l’industrie culturelle des Etats-Unis domine là encore, moyennant l’usine cinématographique d’Hollywood. Un « rétrécissement culturel » que Stéphane Lerouge entend bien contrarier en se consacrant en grande partie au répertoire français (Georges Delerue, Maurice Jarre, François de Roubaix, Antoine Duhamel…), aux films qui ont bercé ses jeunes années : « Il y a une vraie crise sur les albums de bandes originales des films contemporains. S’attaquer à la réédition d’une musique de patrimoine est paradoxalement moins risqué. On est bien sûr privé de la communication et du marketing qui entoure la sortie d’un nouveau film mais, en revanche, on connaît la trace qu’un film, sorti il y a vingt ou trente ans, a laissée dans la mémoire collective. On sait à peu près quelle est l’attente liée au nom du metteur en scène, du compositeur, ou à la rareté de la bande », plaide-t-il. Ce qui ne l’empêche pas de préparer des coffrets Quincy Jones ou Alexandre Desplat.
Le grand public s’emballe, devant les bacs ou au concert, mais qu’en est-il du très select monde de la musique classique ? Certes, quelques musiciens et chefs d’orchestre considèrent encore les bandes originales de film comme d’agréables amuse-bouche sans réelle consistance. Ils sont toutefois de moins en moins nombreux : « Longtemps on a pris la musique de film pour un sous genre, pour du classique light. Maurice Jarre disait qu’il lui arrivait de sentir de la condescendance de la part des musiciens d’orchestre. Mais avec le temps, une nouvelle génération de musiciens qui ont grandi avec le cinéma et la télévision investit les orchestres. Nos grands-parents ont découvert le monde par la littérature et le concert. Dans les années soixante-dix, c’est la télévision qui a joué ce rôle. Un musicien ou un chef de la nouvelle génération considère l’écriture de Bernard Herrmann à hauteur d’ambition de celle, disons, de Bartók », assure Stéphane Lerouge. « Le temps du mépris est terminé, l’idée selon laquelle le cinéma aimante des compositeurs mineurs s’éloigne de plus en plus. Et heureusement », ajoute-t-il, confiant. D’autant plus que le cinéma assure d’être entendu par des milliers de spectateurs, un rêve pour tout jeune compositeur.
Sale temps pour les B.O
La musique de film en pleine forme ? Pas si sûr… Laurent Petitgirard est compositeur (l’auteur, entre autres, d’une suite symphonique écrite pour la série Maigret) et directeur musical de l’Orchestre Colonne : son expérience en fait un fin diagnosticien de la santé du genre. « Le fait que l’on découvre à présent la musique de film ne veut pas dire que celle-ci, d’un point de vue créatif, aille bien », déplore-t-il.
Il est vrai que l’on a beau chercher, les concerts consacrés à la musique de film programment rarement des compositeurs nés après 1930. Maurice Jarre et les ondulations sahariennes de Lawrence d’Arabie, John Barry et le rythme haletant de James Bond, Georges Delerue et les cordes sensuelles du Mépris… autant de noms qui évoquent un âge d’or révolu, celui de la Nouvelle Vague comme du nouvel Hollywood. « L’impact de la musique des films qu’ont écrit des compositeurs il y a vingt ou trente ans est bel et bien là, mais pour ce qui est de la musique contemporaine, il y a un vrai problème », ajoute Petitgirard.
Les raisons d’un tel décalage ? Elles sont au nombre de deux. D’abord, les méthodes de composition et d’écriture actuelles : « Le succès live de la musique de film intervient paradoxalement alors que celles que l’on écrit à présent sont de moins en moins jouables en concert, note le chef d’orchestre. Quelques compositeurs mis à part, elles comportent tellement d’effets sonores, de sound design, que l’ensemble ne tient plus en concert. Cette pauvreté thématique est parfois demandée par le réalisateur, mais vient aussi tout simplement du fait que les compositeurs ne savent plus écrire ! On n’entend plus de grands thèmes comme ceux du Docteur Jivago, ou encore d’Ennio Morricone. Les bandes originales de film comprennent tellement de chansons préexistantes, qu’elles deviennent des catalogues de variété. Tout ça est d’une banalité affligeante et se ressemble de sinistre façon ! », tempête-t-il au téléphone.
Dans ce noir tableau quelques talents résistent : Alexandre Desplat, le plus hollywoodien des Français (Tree of Life, Moorise Kingdom), Bruno Coulais qui à côté de la musique des Adieux à la Reine (Benoît Jacquot, 2012) écrit un concerto pour violon, Alberto Iglesias compositeur attitré des films de Pedro Almodovar…
Autant de compositeurs amoureux du cinéma et des images. L’ennui, c’est que la réciproque n’est pas toujours vraie : « Les compositeurs qui travaillent dans le cinéma aiment beaucoup plus et connaissent beaucoup mieux le cinéma, que les cinéastes n’aiment et connaissent la musique ! », remarque mi-amusé, mi-désolé, Laurent Petigirard.
Il n’y qu’à voir le palmarès des Césars pour la « meilleure musique écrite pour un film » : s’y révèle une « ignorance criante» de la part de la profession. En 2010, Armand Amar est récompensé pour la musique du Concert… où l’on entend principalement le Concerto pour violon de Tchaïkovski! Même chose pour Le Pianiste de Roman Polanski : le compositeur Wojciech Kilar obtient en 2003 le César, quand c’est un homme jouant du Chopin au milieu des décombres de la guerre qui émeut les spectateurs. « Dans ce monde d’ignares, on n’est pas capable de faire la différence entre « meilleure musique dans un film » et « meilleure musique originale écrite pour un film » ! Jamais on n’aurait osé donner le César du meilleur scénario original à L’Avare par Louis de Funès : c’est du Molière, tout le monde le sait ! », martèle Petitgirard.
Une future pépinière
Avec un peu de retard sur les grandes écoles américaines, Le Conservatoire national supérieur de Paris, en collaboration avec la Femis, entend remédier à ces lacunes via l’ouverture, en janvier 2013, d’une classe de « musique pour l’image ». C’est sous l’impulsion de son jeune et dynamique directeur, Bruno Montovani, qu’une telle initiative voit le jour… et c’est à un Laurent Petitgirard pas si pessimiste que ça qu’il a demandé de chapeauter l’ensemble des cours de composition. Conférences et cours techniques compléteront le programme. A une nouvelle génération de confirmer le succès public de la musique de film, et de renouveler un répertoire contemporain en mal d’inspiration. En attendant, rien n’empêche de continuer à se griser du souffle épique des « anciens »…