Sibelius transcendé par Paavo Järvi à la Philharmonie de Paris
Il y a des œuvres qui dégagent une émotion incomparable en concert, que jamais un enregistrement au disque ne pourra reproduire, quelque soit la qualité de votre chaîne hifi. C’est le cas de la Symphonie n°2 de Jean Sibelius, en particulier son mouvement final magistral, avec son premier thème imprégné d’un lyrisme généreux hérité de Tchaikovski, puis cette lente montée en puissance éclatante qui donne toujours la chair de poule… On peut le dire : c’est l’un des plus grands moments symphoniques dans l’histoire de la musique (composé entre 1901 et 1902 en Italie et en Finlande). Et on était gâtés, mercredi soir, à la Philharmonie : Paavo Järvi, à la tête de l’Orchestre de Paris, en a livré une interprétation grandiose.
Dans la magnifique acoustique de la toute nouvelle grande salle, l’orchestre a sonné de toute sa panoplie de couleurs et de caractères. Le pupitre des vents est particulièrement bluffant, mais les cordes, au son très dense, dégagent aussi une superbe homogénéité. Et les cuivres, très sollicités dans la musique de Sibelius, ne sont pas en reste. Cette acoustique ni trop sèche, ni trop ample de la grande salle de la Philharmonie, donne à entendre toute l’échelle des nuances de la partition, du quadruple pianissimo (perceptible) aux grands moments culminants. Et ce soir, on a tout entendu. Paavo Järvi a pris un malin plaisir à sculpter avec délicatesse ces moments magiques qui sortent du néant, à peine perturbés par quelques toussotements venus du public, et on sent que le chef estonien est déjà très à l’aise avec la sonorité de ce nouvel espace musical.
Et on est très heureux d’entendre du grand Sibelius en France, compositeur finlandais dont on célèbre en 2015 l’anniversaire des 150 ans de la naissance. La Symphonie n°2 est l’une de ses oeuvres les plus jouées, avec le Concerto pour violon – on espère aussi que cette année anniversaire permettra d’entendre ses autres chef-d’œuvres un peu moins connus.
Dernier accord du Concerto de Grieg (Photo : Richard Holding)
En première partie de concert, l’Orchestre de Paris avait su démontrer déjà toute sa vaillance, dans l’ouverture Genoveva de Robert Schumann, une page orchestrale tardive qui a su s’imposer dans le grand répertoire, au détriment de l’opéra lui-même (le célèbre critique Hanslick décréta : «Le meilleur passage de l’opéra est celui qui n’a aucun rapport avec la scène, c’est-à-dire l’ouverture…». Puis ce fut l’entrée en scène de la flamboyante pianiste géorgienne Khatia Buniatishvili, pour le célèbre Concerto pour piano op.16 d’Edvard Grieg. Habillée d’une robe de sirène blanche, la pianiste a magistralement dompté la partition, avec une détermination et une énergie débordantes. Si elle semble en faire un peu trop sur scène, il faut reconnaître que la « diva du tabouret » a livré une prestation tout à fait héroïque ; on a senti le courant passer allègrement entre elle et le chef, et elle a su parfaitement dialoguer avec l’orchestre.
Et au fait, où en est la Philharmonie deux mois après son ouverture au public ? Nous vous avions fait un compte-rendu, début janvier, avec un concert de musique russe ; les bâches et les grues témoignaient alors de la folle course contre la montre pour ouvrir dans les délais annoncés. Et si l’ouverture, faite dans l’urgence, avait permis au public d’être bien assis dans la grande salle, des petits détails avaient tout de même été oubliés, comme des sèches-mains dans les toilettes, ou des ampoules manquantes dans le bar… A la mi-mars, force est de constater que des petits progrès ont été réalisés (on peut dorénavant se sécher les mains !), mais il reste encore des choses à fignoler et à améliorer. Mais c’est plutôt anecdotique, à côté des beaux concerts que nous offrent les musiciens…