Éternelles musiques pour The Tree of Life
C’est le grand film du moment, qui vient d’être récompensé par la Palme d’or au Festival de Cannes 2011. Le nouveau chef-d’oeuvre de Terrence Malick, The Tree of life, a pourtant largement divisé les critiques, les uns lui reprochant sa folie des grandeurs, les autres – transportés d’un bout à l’autre du film – lui reconnaissant la légitimité de sa liberté créatrice.
Sans trop en dévoiler le contenu, il faut avouer que le film a de quoi dérouter, et que la juxtaposition de l’histoire individuelle d’une famille américaine middle class des années 50 avec l’échappée cosmogonique longue de 20mn est pour le moins ambitieuse…
Certains ont vu dans le film une vaste prière de 2h20, d’autres une tentative pour saisir Dieu dans toute sa transcendance, certains allant même jusqu’à soutenir que Malick est réellement parvenu à manifester la dimension divine de l’univers sur grand écran… Il y a assurément une interrogation métaphysique sur le sens de la vie, de l’univers, de la foi, de la réalité divine. Partant d’un deuil familial – mort d’un enfant -, la question du film n’est pas tant de savoir si Dieu existe, mais partant du fait qu’il existe, de tenter de comprendre sa façon d’exister. Pourquoi donne-t-il naissance, pourquoi laisse-t-il mourir ? Comment justifier l’injustice ?
En tant qu’agnostique, je pense qu’on peut voir le film de Malick d’un point vue simplement philosophique, sans renfermer la question de Dieu dans une religion unique. Malick cherche à relier le microcosme avec le macrocosme, l’individu avec l’univers, à travers un vaste élan d’amour panthéiste qui traverse toute chose. Le film s’interroge sur le sens de la vie, de la mort, et de la vie après la mort, avec l’audace de se placer à la fois du point de vue humain et du point de vue divin.
Quoiqu’il en soit, c’est un film qui procure à chacun une expérience unique, et qui génère une émotion très personnelle ; de par sa dimension cosmique, c’est une expérience de cinéma à vivre individuellement, car le film s’adresse à chacune de nos subjectivités respectives pour nous transporter dans l’infiniment grand ; il questionne notre rapport au monde et aux autres, dans une perspective métaphysique.
« Souviens-toi des choses éternelles… »
Du coup, une telle cosmogonie ne pouvait s’exprimer et se révéler au spectateur sans musique… Et c’est un véritable festival sonore que Terrence Malick nous a concocté, en puisant dans les plus belles pages du répertoire classique et contemporain. Toutes sont judicieusement utilisées, chaque musique exprimant avec intelligence le sens profond de la scène visuelle qui lui correspond. Vous trouverez un peu plus bas la liste de toutes les musiques utilisées, mais voici d’abord une petite analyse de quelques morceaux clés.
La toute première musique, perceptible dès le tout début du film, est un extrait du poignant Funeral Canticle du compositeur contemporain britannique John Tavener. Une oeuvre baignée de religiosité composée à la mémoire du père du compositeur ; une très belle réflexion sur la durée éphémère de la vie individuelle, par opposition à l’éternité de l’univers, sur cette belle parole qui résume à elle seule tout le propos rassurant du film : « Souviens-toi des choses éternelles ». Autrement dit, souviens-toi que tu n’es pas seul, que tu es relié à l’Univers, que des fils invisibles te relient au Tout de l’univers, par essence mais surtout par amour.
La musique que les spectateurs retiendront sans doute le plus est celle utilisée sur les époustouflantes images de l’univers en fusion. Il s’agit du « lacrymosa » extrait du Requiem pour my friend de Preisner, un autre compositeur d’aujourd’hui, d’origine polonaise. C’est un des moments les plus puissants du film (ou des plus ennuyeux pour certains…), un inoubliable moment de cinéma où la pure contemplation est de mise. Mais pourquoi me direz-vous choisir un extrait de messe des morts sur des images de vie et de création de l’univers ? Parce que la séquence fait suite à celle du deuil familial, et que le texte du lacrymosa parle de lui-même :
- Lacrimósa dies illa,qua resúrget ex favíllajudicándus homo reus.Huic ergo parce, Deus.Pie Jesu Dómine,dona eis réquiem. Amen.
-
[Jour de larmes que ce jour là,où ressuscitera, de la poussière,pour le jugement, l’homme coupable. - À celui-là donc, pardonnez, ô Dieu.Doux Jésus Seigneur,donnez-leur le repos. Amen.]
- Un autre Requiem est utilisé à la fin du film – celui de Berlioz, l’Agnus Dei plus exactement (« Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde, donnez-leur le repos éternel »). La scène correspondante est celle d’un au-delà symbolique, une sorte de paradis rempli de joie et d’amour. On retrouve comme dans le lacrymosa le « dona eis requiem » (donnez-leur le repos éternel), qui fait écho au « souviens-toi des choses éternelles » du début. Au-delà de la vie et de la mort, l’idée d’éternité est clairement la préoccupation métaphysique principale de Malick.
Musiques de vie et de mort
Arrêtons-nous maintenant sur deux musiques moins célestes, utilisées pour accompagner tantôt la vie, tantôt la mort : la Symphonie n°1 de Mahler et la Moldau de Smetana.
Le Mahler est utilisé lors des deux scènes de deuil du film (le 2e enfant de la famille mort à la guerre, et l’enfant du voisinage qui se noie). Mahler, qui a lui-même été traumatisé par la perte de frères et soeurs en bas âge, est le premier compositeur à s’être attaqué au tabou de la mortalité infantile, qui fut une malheureuse réalité ordinaire jusqu’à la fin du XIXe siècle. Dans le 3e mouvement de sa première symphonie, il fait du canon « Frères Jacques » une musique funèbre, ce qui a eu le don de mettre mal à l’aise le public de l’époque. Ici ce n’est pas le troisième mais le premier mouvement qui est utilisé, mais la connexion entre cette musique et la mortalité infantile paraît évidente.La Moldau de Bedrich Smetana est quant à elle utilisée dans un moment de bonheur familial, une scène où l’on voit des enfants heureux s’amuser avec leur mère dans l’herbe au soleil. La musique de Smetana représente le cours de la rivière Vltava, en République Tchèque ; ici la rivière est une métaphore de la vie qui avance avec ses sinuosités, et un symbole du temps qui passe, inéluctablement.
Beaucoup d’autres musiques sont présentes dans The Tree of Life, qui jouent toutes un rôle particulier, mais que je n’ai pas le temps de développer plus en avant ici. Je vous laisse simplement découvrir la liste intégrale des titres utilisés :
– Funeral Canticle, de John Tavener et Mère Thekla, interprété par George Mosley, Paul Goodwin et the Academy of Ancient Music
– Cosmic Beam de Francesco Lupica
– Symphonie n°1 de Gustav Mahler (1er mvt), Polish National Radio Symphony Orchestra, Michael Halász
– orning Prayers, de Giya Kancheli
– Faunophonia Balkanica, d’Arsenije Jovanovic
– Wind Pipes, de Michael Baird
– Approaching, d’Arsenije Jovanovic
– Ta Há 1, de Klaus Wiese
– Snapshot from the Island, de Tibor Szemzo
– Lacrimosa 2, de Zbigniew Preisner
– Ascending and Descending, de David Hykes
– Resurrection in Hades, de John Tavener et Mère Thekla
– Requiem de Berlioz (Domine Jesu Christe, Agnus Dei)
– Siciliana Da Antiche Danze Ed Arie Suite III, d’Ottorino Respighi
– Hymn to Dionysus, de Gustav Holst
– La Moldau (extrait de Ma Vlast), de Bedrich Smetana
– Symphonie n°4 (Andante moderato), de Johannes Brahms
– Symphonie n° 3 de Henryk Górecki
– Les Barricades Mistérieuses, de Francois Couperin
– Toccata and Fugue en ré mineur BWV 565, de JS Bach
– Le Clavier bien tempéré de JS Bach
– Tableaux d’une exposition, (promenade, les Tuileries, Bydio), de Modest Moussorgsky
– Concerto pour piano en la mineur (Allegro affettuoso), de Robert Schumann
– Klangschalen 2, de Klaus Wiese
– Eternal Pulse, de Hana Townshend
– After the Rain: Antiphon, de Barry Guy
– Harold en Italie, d’Hector Berlioz
– Sonate n°16 en do majeur K. 545, de Wolfgang Amadeus Mozart
– Sound Testament of Mount Athos, d’Arsenije Jovanovic
– Ma Maison, d’Arsenije Jovanovic