Shame : un peu de Bach et beaucoup de sexe
Dans les premières minutes du film Shame, on voit l’homme assis dans une rame de métro à New York, sur le chemin du travail. Sur la banquette d’en face, il remarque une jeune femme rousse. Il l’observe d’un air discret et charmeur jusqu’à ce que leurs regards se croisent. Visiblement flattée, elle se risque à un sourire gêné, et se montre quelque peu invitante. Elle se lève pour sortir du métro et s’accroche à la barre en attendant l’ouverture des portes. L’homme fait de même, et fait en sorte que sa main frôle la sienne. Mais elle descend vite, trop vite, et disparaît dans la foule. L’homme s’est-il laissé abuser par son fantasme ? Était-ce vraiment une invitation de la jeune femme, ou bien avait-il tout imaginé ?
Le film se termine sur une séquence similaire, lorsque l’homme recroise la même jeune fille dans le métro. Cette fois-ci elle se montre nettement plus invitante. Mais le film s’arrête, et ne nous raconte pas la suite, laissant carte blanche à l’imagination du spectateur.
Entre ces deux scènes, Steeve Mcqueen filme les méandres de la vie intime d’un homme rongé par l’addiction sexuelle qui, le soir en rentrant du boulot, écoute les Variations Goldberg de Bach avant de se mater un film porno sur son ordinateur portable. Des scènes de masturbation dans les toilettes du travail aux orgies dans les Night-clubs des quartiers sombres de New York, en passant par une tentative d’engagement (hélas vite avortée), le spectateur est projeté à l’intérieur de la spirale infernale vécue par Brandon (interprété par Michael Fassbender), qui a pourtant tout pour séduire : un trentenaire beau gosse, qui s’habille avec classe, incarne un bon job et dispose d’un appart confortable. Mais accroché à la roue d’Ixion, il roule de désir en désir, et se voit condamné à vivre au rythme de ses fantasmes, exposé en permanence à la honte potentielle.
Arrive le jour où sa soeur – une chanteuse de jazz paumée et dépressive, jouée par Carey Mulligan – se tape l’incruste dans son appartement. Leurs rapports sont tendus, Brandon se la jouant dur et égoïste. Après supplication de sa soeur, il se décide tout de même à aller l’écouter chanter un soir, dans un bar à cocktails, en compagnie de son boss. Ce dernier, jeune père de famille, a une folle envie de liberté, et tire sur tout ce qui bouge. Il séduit la soeur, toute vulnérable, et sans gêne aucune, tous deux repartent à l’appartement de Brandon faire des galipettes… Pris au piège par sa soeur, Brandon tourne en rond dans la pièce d’à côté et a du mal à contenir sa rage et sa frustration. Au bord de l’explosion, il sort se défouler, et par un magnifique travelling latéral, la caméra le filme en train de faire son jogging dans les rues de New York, un prélude de Bach dans son lecteur mp3.
Cet épisode va pourtant précipiter la chute de Brandon dans la déchéance, tout autant que celle de sa soeur… Après une dispute, Brandon claque la porte et va boire dans un bar. Première étape d’une nuit à rebondissements qui se terminera dans le lit de deux prostituées. Pendant ce temps, sa soeur se renferme dans l’appartement et tente de se suicider…
Arrive ensuite l’une des scènes les plus fortes du film, lorsque Brandon se hâte de revenir à l’appartement, ayant deviné la connerie de sa soeur. Il la retrouve inconsciente et ensanglantée. Une séquence poignante, qui fait à nouveau entendre un morceau pour clavier de Bach – mais pour la première, la musique n’est pas intrinsèque à l’action du film, elle est utilisée en illustration.
Au final, c’est donc le geste désespéré de la soeur qui permet à Brandon, dans un authentique élan d’amour, de surmonter la violence de ses désirs.
Sans parler de la musique originale du film de Harry Escott, qui joue clairement un rôle de tapisserie sonore allègrement inspirée de La Ligne Rouge de Hans Zimmer, il y a donc au moins 3 scènes importantes où la musique sert réellement l’acteur principal du film, en le tirant doucement vers le haut, de la pulsion et l’abject vers l’amour et la beauté. Car malgré son addiction sexuelle, Brandon sauve les apparences et cache bien son vice ; c’est quelqu’un d’ordonné, de très présentable, et qui trouve un apaisement – certes momentané – grâce à la musique, de Bach notamment…
– La première scène c’est lorsqu’il met sur sa platine l’aria des Variations Goldberg, avant d’aller consulter des vidéos pour adultes sur son ordinateur – une scène qui résume parfaitement la dualité du personnage, tiraillé entre obscénité et finesse d’esprit…
– La deuxième scène, c’est celle du bar où Brandon écoute sa soeur chanter New York New York. D’une voix fragile et hésitante, elle livre une interprétation très poignante et mélancolique de la chanson, ce qui ne manque pas d’émouvoir Brandon qui ne peut s’empêcher de verser une larme ; larme de tristesse ? d’amour ? de honte ? Quoiqu’il en soit, on comprend à partir de cette scène musicale que malgré les apparences, Brandon n’est pas un homme un paix avec lui-même, rongé par la solitude existentielle que lui impose ses pulsions intérieures.
– La troisième scène arrive peu de temps après la deuxième, lorsque Brandon, frustré et en rage, sort faire un jogging avec du Bach dans son lecteur mp3, pendant que sa soeur fait l’amour avec son patron dans son propre lit. Ecouter du Bach en faisant du sport : quoi de plus sain pour expulser ses émotions négatives et se défaire de l’addiction sexuelle!