Ensemble OTrente, créateur d’émotions mystiques a cappella
Le mardi 17 janvier, c’était le jour de la Sainte Roseline. Mais j’avais rendez-vous, quant à moi, avec le Saint-Esprit, dans son temple protestant du 8e arrondissement. Je ne suis pas croyant, mais il me semble que si je l’étais, j’associerais bien volontiers le mystère du Saint-Esprit avec le mystère de l’harmonie musicale : une force pénétrante qui vous remplit d’une joie indicible, une énergie mystique issue du tréfonds de l’univers qui vous replace dans le champs de la solidarité métaphysique ; vous savez, cette émotion extatique qui vous fait comprendre, avec à la fois légèreté et profondeur : ah, je ne suis pas seul au monde!…
Encore faut-il, pour expérimenter cet état d’esprit, que les musiciens soient à la hauteur de votre attente. C’était pleinement le cas ce soir-là, avec une prestation époustouflante du choeur OTrente dirigé par le jeune surdoué Raphaël Pichon, dans un programme de musique sacrée du début 20e siècle avec Howells, Martin, Holst et Vaughan Williams. Ma précédente envolée métaphysique, ça avait été à l’Oratoire du Louvre le 2 novembre 2011, avec le Choeur Philharmonique de Chambre d’Estonie chantant Arvo Pärt, dirigé par Paul Hillier, clairement l’un des plus beaux choeurs du monde. Mais l’émotion était tout aussi pleine en ce mardi hivernal, même si, contrairement au concert Pärt, je découvrais la majorité des oeuvres chantées ; idéalement assis au premier rang, à 3 mètres du choeur, la musique m’a frappé de plein fouet, mais rien de douloureux, bien au contraire…
J’ai surtout été frappé par la précision de l’interprétation, l’admirable maîtrise des nuances (la magie des tous premiers sons du Nunc Dimitis de Holst qui semblaient réellement provenir d’un autre monde…), la projection des voix, perçante et d’une clarté cristalline dans l’acoustique exceptionnelle du Temple, et par dessus tout, la solidité et l’endurance du choeur – composé principalement d’excellents amateurs – dans ce programme a cappella très exigeant.
Le Requiem de Herbert Howells (1892-1983), composé en 1932, a la particularité de mêler une partie du texte latin de la messe des morts (requiem aeternam) avec des psaumes anglicans. C’est une oeuvre de toute beauté qui, en alternant des séquences harmoniques très riches et modulantes, avec des séquences à l’unisson ou à la polyphonie plus clairsemée, prend ses sources dans l’héritage vocal de la Renaissance tout en s’inscrivant dans la modernité de son époque. Les passages chantés sur les paroles « requiem aeternam » baignent dans une atmosphère de pure contemplation, malgré leur caractère recueilli et plutôt sombre. Les chanteurs d’OTrente, malgré quelques très légères hésitations, en ont livré une interprétation absolument sublime, sous une direction très élastique de Raphaël Pichon, que l’on n’est pas habitué à voir dans un tel répertoire (ses concerts et enregistrements pour l’ensemble de musique ancienne Pygmalion sont plus beaucoup plus médiatisés) ; ses gestes souples, très poétiques, débarrassent de la musique de son côté métronome, et lui redonnent toute sa sensibilité, sa fraîcheur et sa spontanéité.
La deuxième grande oeuvre de ce programme, vocalement très exigeante, était la Messe à double choeur du compositeur suisse Frank Martin, un véritable monument du répertoire choral a cappella du 20e siècle. Là encore, la prestation du choeur était tout à fait épatante. De par son ampleur et sa complexité, l’oeuvre est un peu moins évidente à apprécier au premier abord, mais c’est un véritable morceau de bravoure pour le choeur, obligé d’afficher toute sa palette de qualités vocales, jusqu’à la toute dernière note de l’Agnus Dei. En introduction de ces deux grandes pièces, l’ensemble a chanté deux pièces sacrées plus brèves, le Nunc Dimitis de Gustav Holst et le O vos omnes de Ralph Vaughan Williams.
Au final, c’est un programme d’environ une heure de musique intégralement a cappella que les Parisiens auront la chance de réentendre ce vendredi 20 janvier à 20h45 à la basilique Sainte Clotilde, dans le 7e arrondissement ; si vous aimez la musique chorale, sacrée et a cappella qui plus est, je ne peux que vous encourager à aller écouter ce magnifique choeur, qui n’a rien à envier aux formations plus médiatisées… L’énergie est réelle, l’émotion et la qualité sont au rendez-vous, les oeuvres sont belles et rares… que demander de plus ?!