Arvo Pärt, Creator Spiritus
Sur la pochette du disque, une salle obscure et déserte, au sol grisâtre et aux murs épurés. Surfaces lisses et vierges, sans décoration ni tapisserie. Au fond, une porte ouverte sur une pièce encore plus sombre, qui cache on ne sait quel abîme existentiel. Une atmosphère sinistre, qui le serait assurément s’il n’y avait pas, là au milieu du sol, ce carré de lumière blanche et vive, reflet d’une énergie créatrice qui vient du dehors, pleine d’espoir et de vie. Une mise en scène symbolique, et parfaitement adaptée aux oeuvres d’Arvo Pärt contenues sur ce disque, qui, malgré un caractère souvent intense, voire lugubre, sont toujours traversées par cette lumière blanche et pure, clé de la sérénité même.
Passée l’esthétique intrigante de la pochette, ce nouvel album du label Harmonia Mundi nous réserve d’autres réjouissances, puisqu’il rassemble plusieurs pièces récentes du compositeur estonien, comme The Deer’s Cry, Morning Star, ou encore Veni Creator, la pièce qui a inspiré le titre de l’album. Et à la différence d’un chanteur de variétés ou d’un groupe de rock, dont les singles paraissent dans les bacs quelques semaines après leur composition, les « singles » de Pärt, s’ils sont régulièrement donnés en concert, mettent parfois plusieurs années à être enregistrés en disque…
Ainsi de la pièce Morning Star, composée en 2007, sans doute la nouveauté la plus intéressante de ce disque, et qui récompense d’une très belle façon la patience du mélomane. Ecrite pour choeur SATB a cappella, il s’agit d’une commande pour les 175 ans de l’Université de Durham en Angleterre. Arvo Pärt met en musique la prière gravée sur le tombeau de Bède le Vénérable, célèbre érudit du 8e siècle auteur notamment d’une Histoire de l’Angleterre inestimable:
Christ est l’étoile du matin / qui, après la nuit / de ce monde / apporte à ses saints / la promesse de / la lumière de la vie /et ouvre le jour éternel.
De la nuit à la lumière du jour éternel, c’est la pochette de l’album, et c’est aussi le chemin de cette prière que Pärt met en musique d’une façon absolument remarquable, avec une vague de tensions qui se résolvent peu à peu en un effort de plus en plus langoureux et enivrant, jusqu’à atteindre la délivrance finale qui, une fois n’est pas coutume chez Pärt, prend la forme d’une cadence parfaite avec un accord majeur.
Le chemin émotionnel de cette pièce, tortueux mais jouissif, contraste avec la simplicité déconcertante du Veni Creator, pour chanteurs solistes et orgue. Ici, point de ténèbres : c’est l’incarnation de la Sérénité même, où la lumière éternelle de l’Esprit créateur pénètre avec grâce les coeurs comme un baume apaisant.
Quant aux autres pièces chorales récentes réunies sur ce disque, The Deer’s Cry, Most Holy Mother of God et Peace upon you, Jerusalem, le fan d’Arvo Pärt y trouvera aussi pleinement son compte ; tous les ingrédients qui cimentent son langage si épuré et personnel y sont réunis.
Les interprètes
On ne présente plus Paul Hillier, célèbre ambassadeur de la musique de l’Estonien depuis presque 30 ans, dont les précédents enregistrements chez Harmonia Mundi ont tous fait date. On le retrouve ici chef à la tête de l’excellent choeur Ars Nova Copenhagen, et baryton dans son ensemble de solistes Theatre of Voices. L’organiste Christopher Bowers-Broadbent, lui aussi l’un des plus célèbres interprètes de Pärt (il a créé plusieurs de ses oeuvres), est encore une fois ici le fidèle accompagnateur dans les pièces vocales Veni Creator et My heart’s in the Highlands. Ce dernier, un chant composé en 2003 sur le célèbre poème de Robert Burns, est ici enregistré par la soprano danoise Else Torp. Son interprétation est très belle, mais difficile de surpasser celle du contre-ténor David James, du Hilliard Ensemble, dont la voix cristalline est d’une pureté incomparable.
L’originalité de cet enregistrement composé majoritairement d’oeuvres vocales, vient de la participation du NYYD Quartet, ensemble estonien qui livre une prestation incarnée du Psalom, et de la pièce Solfeggio, originellement écrite pour choeur a cappella. Mais c’est dans le Stabat Mater, une des pièces phares de Pärt, et de loin la pièce la plus longue de ce disque (26mn) que le quatuor s’exprime le plus généreusement, aux côtés des excellents solistes du Theatre of Voices. Il existe maintenant plusieurs versions en disque de ce Stabat Mater, et celle-ci se classe incontestablement parmi les plus abouties. Rien ne dépasse, l’équilibre des voix est parfait, l’expressivité est à son comble.
Voici donc encore un très beau disque consacré à la musique éthérée et atemporelle d’Arvo Pärt, où se côtoient pièces récentes et oeuvres plus anciennes, le tout dans une atmosphère plutôt intimiste, servi par des interprètes de très grande qualité. Un must have!