Médée, l’opéra noir de Cherubini
Du 10 au 16 décembre, le Théâtre des Champs-Elysées à Paris donne à entendre Médée de Luigi Cherubini (1760-1842), mis en scène par le Polonais Krzysztof Warlikowski : un opéra sombre qui brille surtout par la performance extraordinaire de Nadja Michael dans le rôle titre, et l’énergie de feu des musiciens des Talens Lyriques, dirigés par un Christophe Rousset au sommet de sa forme.
A quelques jours de la fin du monde, le Théâtre des Champs-Elysées offre à ses auditeurs un opéra bien noir, et n’offre aucun espoir de survie… La sinistre histoire de la magicienne Médée, fille du roi Aedes de Colchide, qui découpa son propre frère en morceaux, puis tua ses propres enfants et la nouvelle fiancée de son mari Jason, n’est pas exactement le spectacle léger à conseiller à ceux qui recherchent un joyeux divertissement familial de fin d’année…
Oeuvre sombre donc, mais une mise en scène plutôt sobre et statique qui occulte l’action et le spectaculaire pour se focaliser sur la psychologie des personnages, à savoir principalement la relation sulfureuse entre Médée, désespérée d’être rejetée par celui qu’elle aime, et Jason qui, dans sa recherche d’élévation morale et spirituelle, n’arrive pas à se défaire complètement de l’emprise ensorcelante de Médée.
Le début de l’opéra se passe à Corinthe, où les Argonautes viennent présenter leurs hommages à Glauce, fille du roi Créon, et nouvelle fiancée de Jason. Une Grèce antique civilisée, où semblent régner morale, pureté et innocence. Jusqu’au moment où apparaît à l’improviste la maléfique Médée, tout de noir maquillée et vêtue, mini-jupe en cuir, talons aiguilles et tatouages sur les bras. A la seconde où elle commence à chanter de son envoûtante voix de mezzo, Nadja Michael déchire cette ambiance blanche et parfaite et assombrit en un instant la couleur entière de l’opéra, provoquant une vague de frissons dans l’auditoire. Et le public de n’avoir de yeux que pour elle, jusqu’à la fin de l’oeuvre, tant le personnage fascine par sa cruauté passionnelle, et la chanteuse par sa puissance vocale.
Sur le plan musical, Médée n’est assurément pas le plus mélodieux des opéras (aucun air vraiment célèbre et facile à retenir), mais la densité de l’écriture renferme une grande force dramatique, et ce n’est pas par hasard si Brahms a reconnu l’oeuvre comme « le sommet de l’art lyrique ». Composé en 1797, année de naissance de Schubert, c’est une véritable oeuvre charnière entre le classicisme viennois (à certains moments on se croirait en plein Mozart) et le romantisme (un avant-goût de Berlioz…).
Plutôt que de faire une analyse complète et minutieuse de l’opéra, et de la mise en scène assez froide et minimaliste de Krzysztof Warlikowski – créée à la Monnaie de Bruxelles en 2008, et qui fait l’objet d’une sortie en DVD le 20 novembre dernier, voici quelques éléments pour vous donner une idée de la production, et vous encourager – ou non – à y aller…
4 choses bizarres… ou originales, selon.
– Le miroir du fond de scène qui reflète l’image du chef Christophe Rousset (intéressant pour voir son jeu de direction, mais un peu moins intéressant quand on le voit s’essuyer le front ou se moucher le nez).
– La présence du bac à sable qui coupe la scène en deux.
– La chanson de rock n’roll insérée en plein milieu de l’opéra, et d’autres curieux bruitages sonores par moments.
– La diffusion d’images vidéos sur le rideau pendant l’ouverture de l’opéra, et durant l’entracte.
5 bonnes raisons d’aller voir l’opéra
1 – C’est un opéra rare, et une musique qui mérite d’être entendue (baissée ici d’un demi-ton, choix musical du chef des Talens Lyriques Christophe Rousset, )
2 – Si vous êtes sensibles comme je le suis aux voix de mezzo, vous assisterez à un véritable festival avec les voix sublimes de Nadja Michael (Médée) et Varduhi Abrahamyan (qui incarne Néris, servante de Médée, et qui a sans doute le plus bel air à chanter)
3 – Si vous aimez la chanteuse Amy Winehouse, décédée l’année dernière, vous serez surpris de voir défiler sur scène son alter ego lyrique…
4 – Vous goûterez à l’excellence du Choeur de Radio France, l’un des meilleurs de France, et Christophe Rousset et les Talens Lyriques ne devraient pas vous décevoir non plus…
5 – C’est peut-être le dernier spectacle que vous verrez avant la fin du monde!
Un conseil avant d’y aller
– Etudiez bien l’histoire avant de vous rendre au Théâtre, le livret de François-Benoît Hoffman ne conserve qu’un partie du mythe de Médée, et le texte parlé, ici modernisé par le metteur en scène, n’est pas sous-titré – la prononciation du français par les chanteurs étrangers est franchement assez mauvaise…
Un extrait musical pour finir…