Les Proms : 120 ans de démocratisation de la musique classique
Cette année encore, avec sa programmation festive et son irrésistible folklore britannique, le concert final du festival des Proms devrait tenir toutes ses promesses, samedi 13 septembre, au Royal Albert Hall de Londres. Grosse fête du classique, »The Last night of the Proms » est l’évènement musical attendu par des millions de personnes outre-Manche, véritable bouquet final d’un festival marathonesque qui court sur presque deux mois, avec plus de 80 grands concerts orchestraux, concertants ou vocaux.
Voilà 120 ans que les « Proms » – comprenez « promenades musicales » – œuvrent pour faciliter l’accès à la musique classique au plus grand nombre, en offrant la possibilité pour les auditeurs, moyennant 5 livres et une bonne dose de patience dans la file avant de pénétrer dans la mythique salle circulaire, d’assister à des concerts prestigieux donnés par une grande diversité de chefs (Bernard Haitink, Charles Dutoit, Daniel Barenboim Roger Norrington, Simon Rattle, Marin Alsop, Myung-Whun Chung, Ivan Fisher, John Eliot Gardiner, Daniel Harding…), de solistes (Alexandre Tharaud, Emmanuel Pahud, Janine Jensen, Nina Stemme, Johan Reuter, Roderick Williams…) et d’ensembles internationaux connus (London Symphony Orchestra, Philharmonique de Berlin, Orchestre de la Radio Symphonique de Stuttgart, Budapest Festival Orchestra, Monteverdi Choir, Les Arts florissants…) et moins connus (Orchestre symphonique de Singapour, Orchestre Philharmonique du Qatar…). Et bien sûr, en tant qu’évènement soutenu par la BBC, un certain nombre de concerts sont assurés par les différents ensembles de la chaîne.
5 livres, c’est le prix des places pour les auditeurs qui viennent faire la queue le jour même, et qui restent debout dans l’arène centrale du Royal Albert Hall. Pour quelques dizaines de livres supplémentaires, on peut aussi bien sûr réserver sa place assise. Pour le dernier concert, le 13 septembre cette année, outre la diffusion en direct sur la BBC (et sur France musique) un dispositif exceptionnel est prévu avec l’installation d’écrans géants dans des grands parcs à travers le Royaume-Uni (Londres, Swansea, Glasgow et Belfast), mettant ainsi en communion des millions d’auditeurs qui pourront, comme le veut la coutume, agiter les drapeaux du Royaume-Uni en chantant à tue-tête les traditionnels « Rule, Britannia ! » de Thomas Arne, « Jerusalem » de Parry, et bien sûr le célébrissime « Land of hope and Glory » d’Elgar (toujours donné 2 fois !). Soit une bonne dose de fièvre patriotique, d’humour et d’émotion, qui a l’heureux avantage de ne pas (vraiment) se prendre au sérieux !
Les premières « promenades musicales »
On doit le concept des « Proms » à Robert Newman, manager de la Queen’s Hall de Londres, qui expliqua sa démarche au chef d’orchestre Henry Wood en 1894 : « Je vais organiser des concerts en soirée pour habituer le grand public à apprécier la musique classique ». « Populaires au début, puis en augmentant graduellement le niveau d’exigence, jusqu’à ce que je dispose d’un public pour la musique classique et moderne ».
En pratiquant des tarifs très bas, et en intitulant ses concerts des « promenades », Newman souhaitait que l’atmosphère soit informelle et décontractée, où il était permis de boire, manger et de fumer, afin d’attirer le public le plus large possible. D’une durée de trois heures, les premiers concerts comportaient deux parties : une première avec des oeuvres plus consistantes et « sérieuses », et une deuxième plus légère intitulée Grand Fantasia, avec des extraits choisis d’opéras populaires.
Assez vite, devant le succès grandissant de ces « promenades », Newman et Wood programmèrent des soirées thématiques qui perdurèrent avec le temps : une « Soirée Wagner » le lundi, et une « Soirée Beethoven » le vendredi. Ils accordèrent aussi une place de choix aux compositeurs contemporains de l’époque – Debussy, Richard Strauss, Ravel, Rachmaninov… tout en promouvant les jeunes artistes.
Dans les années 20, les Proms ont frôlé la faillite financière, mais heureusement, ils reçurent le soutien en 1927 de la BBC (British Broadcasting Cooporation), dont la devise « informer, éduquer et divertir », correspondait tout à fait à la vision de Henry Wood. Trois ans plus tard, l’orchestre des Proms toujours dirigé par Henry Wood devînt la BBC Symphony Orchestra, et jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, grâce à la radiodiffusion, les concerts des Proms, toujours donnés au Queen’s Hall, atteignirent un public de plus en plus large.
En 1941, Londres croule sous les bombes nazies, et le Queen’s Hall est détruit le 10 mai. Les Proms se réfugient alors au Royal Albert Hall, l’autre grande salle de concerts de la capitale anglaise, construite en 1871.
Prix bas, accès facilité au grand répertoire, esprit festif et décontracté allié à une grande qualité d’interprétation, place importante accordée aux jeunes artistes et aux compositeurs contemporains… La philosophie des Proms en 2014 est toujours fidèle à celle de ses débuts en 1894, sauf que John Tavener, Chris Brubeck, Harrisson Birtwhistle, Jonathan Dove, Simon Holt, etc. remplacent les Wagner, Debussy, Strauss et Vaughan Williams de l’époque, et que les concerts, en plus d’être diffusés à la radio et à la télévision, sont aussi maintenant disponibles à la réécoute sur Internet !
Il faut aussi noter l’approche pédagogique de ces « Proms » ; malgré des oeuvres parfois difficiles à écouter (certaines créations contemporaines surtout), la manière de les aborder est tout sauf élitiste : les présentateurs télé et radio utilisent des mots et des images simples pour les introduire au public, afin que personne ne se sente lésé.
Bref… il n’y a que d’excellentes raisons pour participer à ces « Proms », qui font un bien fou à la musique classique, en lui débarrassant de l’image ringarde, prétentieuse ou hyper-spécialisée qu’on lui accole trop souvent… vive les « Proms », et vive la musique classique désacralisée !