Turner, peintre de lumière et chanteur de Purcell
J.M.W Turner, le plus grand peintre anglais de la première moitié du 19e siècle, est à l’honneur au cinéma en ce moment dans le nouveau film de Mike Leigh, intitulé « Mr Turner ». Artiste charismatique et visionnaire, Turner a fortement marqué son époque avec des peintures et aquarelles d’un style très personnel, anticipant le mouvement impressionniste et même, dans ses dernières toiles, l’art abstrait du début XXe.
Surnommé le « peintre de la lumière », Turner est magistralement incarné par Timothy Spall, acteur britannique récompensé par le prix de l’interprétation masculine à Cannes cette année (et que les fans d’Harry Potter connaissent bien au cinéma dans le rôle de Wormtail, le serviteur de Voldemort). Rythmé, à la fois drôle et sérieux, le film est un superbe biopic tout sauf ennuyeux, d’un ton un peu décalé, qui se focalise sur une trentaine d’années de la vie du peintre, entre 1820, âge de la maturité, et 1851, année de sa mort.
Au milieu de somptueux paysages romantiques de l’Angleterre et du Pays de Galles, la lumière et la photographie du film sont très soignées, et Mike Leigh replace merveilleusement bien l’art de Turner dans son époque, avec l’émergence de la première révolution industrielle et l’invention de la machine à vapeur. Des mutations technologiques qui ont inspiré plusieurs chef d’oeuvres au peintre, comme le fameux Rain, Steam and Speed de 1844 :
Et la musique dans tout ça ? Passons sur celle de Gary Yershon, compositeur de la bande originale du film qui a livré une partition étonnamment moderne et quelque peu abstraite, qui nous a semblé un peu hors sujet, même si on comprend qu’il a peut-être voulu montrer le côté « très en avance » du personnage.
Concernant l’utilisation de la musique classique, une scène au milieu du film a particulièrement retenu notre attention de mélomanes, lorsque Turner est invité dans la demeure d’un riche mécène. Il admire la disposition de ses tableaux dans le grand salon lorsqu’il est attiré par une femme (sans doute la maîtresse des lieux) jouant au pianoforte la Sonate dite « Pathétique » de Beethoven. Elle aurait pu jouer la Sonate dite « La Tempête », qui aurait été un clin d’oeil au fameux tableau Snow Storm de Turner (1842). Mais la « Pathétique » semble mieux correspondre à l’état d’esprit mélancolique de la pianiste qui, quand Turner lui avoue son amour pour Henry Purcell, lui joue sans hésiter la fameuse lamentation de Didon. Et Turner, après avoir essayé de chanter l’air d’une voix monstrueusement fausse, de résumer la chose en parlant de « deceptive love » (amour déçu), des mots qui laissent la pianiste dans un état songeur…
C’est à peu près tout pour la musique classique dans ce long et beau film, qu’il faut surtout aller voir pour la personnalité singulière de Mr Turner – son humour pince-sans-rire, ses silences et ses grognements récurrents, la relation fusionnelle qu’il entretient avec son père, sa grande sensibilité et sa curiosité à la fois fascinée et méfiante pour les nouvelles découvertes physiques… Et bien évidemment, par dessus tout, sa peinture si géniale.